KO 고
YOUNG 영
CHAN 찬
「PIXSEL」
« Pixsel est une animation documentaire inspirée du travail de mon père et de mon grand-père. Dans ce travail je me suis intéressé à la filiation et à la transmission. J'ai d'abord fait une interview avec mon père pour lui demander pourquoi il a pris la suite de son père. Il m'a dit directement qu'il n'y avait aucune influence de son père mais il m'a raconté plus de choses que ce que j'avais prévu. Après notre conversation, j'ai décidé de garder sa parole dans les archives. Et j'ai créé mon marais salant. »
Un mot valise dénomme le film : pixel et sel et non une erreur d'orthographe ni même la prononciation coréenne qui serait « piksel » que l'on pourrait retenir puisque les mots du père expliquant le métier de saunier qu'il a dû accepter alors qu'il avait fait des études d'architecte, les fermetures actuelles des salines, les nécessités pour fabriquer le sel et les étapes des divers matériaux des traditionnels au dernier écologique... ce discours de spécialiste est énoncé en voix over en coréen, origine de l'artiste Youngchan Ko. Cette langue peu pratiquée en France participe à l'impression de poésie du film. Les mots ne sont pas ceux de la tribu, leur signifiant emporte avec la tessiture du père. Et par contagion, les termes techniques comme « sel ignigène » ou la méthode Hwaryum, les informations quantifiées et les matériaux retenus de l'argile au linoléum chantent à nos oreilles.
Ainsi « Pixel » puisque composition numérique et « sel » puisqu'une cabane de bois construite pour la récolte du sel.
Tout un chacun sait que c'est lors du traitement numérique, que les modifications ont lieu selon une numérisation binaire 0/1, de chacun des points et que c'est cela qui donne le nom au pixel: picture element. L'image de synthèse se conçoit avec des logiciels de modélisation construisant ses objets, à partir de données, d'algorithmes ou de modèles mathématiques.
Pixsel ne dissout pas son écriture de synthèse, il ne la cache pas dans le plan; au contraire, généralisant le fonds sans fond de l'espace numérique, il y fait voguer la maison et ses objets et y « pose » continûment le sel en tas dont il décline la taille selon les moments de la récolte et de son explication fidèle à ses diverses étapes.
Ainsi le projet nie certains préjugés concernant les capacités de l'image de synthèse à ce qu'elle ne requiert pas de modèle référentiel; que, dès lors, sans original, elle n'est plus une trace du « ça a été »; ce qui éloigne d'elle les formulations serinées pour l'image comme « miroir du monde », « fenêtre ouverte » ou « illusion de présence ».
Son projet, avec les nombres, informent son modèle. Le sens reste sa référence et ce sens, c'est la relation d'un fils à son père qui passe par son explication de son métier. Il ne fait pas preuve de son savoir, il ne s'inscrit pas dans la preuve de la potentialité de la machine. Est révolu le temps d'A Computer Animated Hand quand Edwin Catmull - futur président de Disney-Pixar, dont la main est le modèle et Fred Parke - c'était en 1972 - composent le « premier » film en animation 3D par ordinateur.
Pixsel se fonde sur le désir documentaire, il décrit la culture du sel mais il exhibe aussi sa propre nature numérique qui ne se dissout pas plus que le sel quand on le protège. Il compose un essai documentaire à la première personne; du moins le << je » du père qu'il relaie. Ainsi protège-t-il la mémoire du fait.
Cet essai en numérique est une défense contre l'oubli, une reconnaissance du père et une certaine exaltation de ce travail bien fait mais qui laisse de l'amertume avec l'impression de n'avoir rien laissé après ses cinquante ans de travail... il fait film de ce que le père a fait, lui rendant une raison d'être. Pixsel s'engage à transformer « les regrets » énoncés en fin de récit.
Il le fait poétiquement: la grange pourrait rejoindre les sculptures, son bois avec les claires-voies laissent passer la lumière. Elle se dresse nette sur le blanc. Les brouettes jaunes exposent leur forme en trio plus une renversée modifiant l'ensemble du même ou l'une devient un lent volet pour changer de plan. La série entraîne plus nettement, encore, les bassins carrés peu profonds, dont le fond change de couleur et de texture: uniforme en ocre ou noir, craquelures ou carrelage avec le tas identique blanc, le sel avec sa pelle. Le reflet de l'eau près de tuyaux peints différemment, la brillance de tas plus gros du sel... Le travelling zénithal précise les contours en survolant l'espace, les bassins d'évaporation.
Tout y reprend valeur esthétique, les plantes vertes impertinentes sur les dunes, le noir qui absorbe le soleil, le blanc du sel, la maison comme en lévitation, adoucissant les regrets du père puisque grâce à cette parole du petit-fils, son savoir-faire, l'histoire de sa vie s'apprécient.
Et Pixsel apporte de la légitimité de la synthèse pour la parole documentaire dans une manière différente d'établir des rapports avec la réalité.
Quelques jalons sur le numérique et les films.
Des essais de l'image faite par ordinateur hors de l'usage technique, bureautique, industriel de l'ordinateur se sont très tôt multipliés; et ce, avec les Whitney, alors que l'ordinateur était encore « analogique »... de nombreux exemples, prouvent l'inclusion d'images numériques parmi les plans en prises de vues réelles, Mondwest ou Les Rescapés du futur en 1974 et 1977 et plus près de nos propres préoccupations artistiques Peter Foldes travailla les intervalles de La Faim, numériquement dès 1973. L'année après A Computer Animated Hand que Edwin Catmull dont la main est le modèle et Fred Parke ont composé en animation par ordinateur - séquence reprise par Les Rescapés du futur…
Et ajouter pour l'anecdote que le premier générique français en images de synthèse mené par Jean-Michel Girones, concerna le discobole des Jeux Olympiques de 1984.
Et pour le plaisir, ce Leonardo's Deluge, 1989, de Mark Whitney et de l'historien Carlo Pedretti, animait par ordinateur, grâce à un logiciel spécialement créé, onze dessins de Léonard de Vinci, mêlés à des paysages autour de l'Arno. Pour ce faire, les dessins avaient été scannés électroniquement et numérisés avec des techniques initialement prévues pour l'analyse de photos prises dans l'espace. En voix over, Angela Huston dit des textes des Carnets de Léonard.
Cependant, depuis Tron, en 1982, les blockbusters hollywoodiens usent voire abusent des potentialités de l'image de synthèse pour faire plus peur, plus terrifiant, plus spectaculaire, ils lancent à la chaîne les Total Recall, Abyss, Starstreck, avant de viser un public plus jeune avec Toy Story, réalisé en 1996. Ils y trouvent un nouveau type de trompe-l'oeil, de prolongement du leurre, de l'illusion. Pour preuve, Imagina, qui était, alors, le festival des images numériques et affichait un projet artistique, accorda son grand prix Imagina 90, aux effets spéciaux de Willow, Indiana Jones et The Abyss à la société Lucasfilms. Celle- ci s'en félicita non pour des raisons esthétiques mais parce qu'à la sortie, le spectateur avait cru voir des images analogiques : « En ce qui nous concerne, ce qui nous fait le plus plaisir, c'est qu'un spectateur qui vient de voir The Abyss, et qui a découvert seulement à la fin du film qu'il existe des images numériques, fasse cette remarque: "Images numériques ? Où est-ce qu'il y avait des images de synthèse dans ce film ?" », revue PIXEL n° 7. Désormais, la réaction serait inverse, croire voir une image virtuelle quand l'image est par « trop » nette et belle.
Le numéro 10 de la même revue, divulguait la première fourmi métallique, synthétisée point à point, par Dick Lundin, qui fut intégrée par l'INA, sur un paysage de dunes plus vraies que nature, rassemblant ces deux pôles de l'image de synthèse. Le faux caché et la créature fausse exhibée.
Puis ce furent la ville virtuelle de Matt Mullican, en 1992, à découvrir, rue à rue, où entrer dans une maison; les premières visites de Musée avec des œuvres, elles aussi, virtuelles. Et, en France, la rencontre virtuelle de l'Abbaye de Cluny avant celle de la Grotte de Lascaux, celle-ci présentée à Montpellier pour Les Interfaces des Mondes Réels et Virtuels, avant 1996... désormais des incontournables des lieux patrimoniaux.
Ainsi ce qui était/est réclamé, applaudi c'est la technique censée améliorer l'élément filmé. C'est la capacité qu'on lui accorde à tout calculer et tout « représenter » alors que la réflexion d'une possible relation nouvelle avec l'image et par ricochet le monde est trop négligée. Comme est négligé, le passage de la captation référentielle et de l'implication de la lumière au langage, puisque ces « images » naissent de manipulations codées. Écrire en numérique doit entraîner à passer de l'interprétation du monde à sa transformation dans cette expression.